Pour ceux qui ne le savaient pas encore,
je reviens d’une escale imprévue de trois semaines en France. La raison :
Issey Miyake à la fashion week.
Vous n’y voyez toujours pas plus clair? C’est normal, moi-même je revis encore les évènements comme un rêve éveillé, alors laissez-moi vous raconter cette belle histoire.
Tout commence début février par un message sur la page facebook du groupe de mon mari « yanéka ».
En effet, mon mari est musicien en plus d’être japonais (d’où mon nom « Maeda ») et forme le groupe « yanéka » avec sa soeur Chiyako depuis plus de 10 ans maintenant. Pas facile tous les jours d’être un couple aux professions artistiques, beaucoup d’insécurité financière, de hauts et de bas, de moments de doutes, mais surtout énormément de passion, de compréhension respective et d’aventure!
Depuis le début nous formons une équipe soudée en plus d’être une famille, nous nous soutenons mutuellement dans les moments difficiles, vivons à joie égale les succès de l’un ou de l’autre, et cette fois-ci ne dérogea pas à la règle.
Mais revenons-en donc à ce fameux mail : un certain « Furuta san » se présente comme second chez Issey Miyake, et de but en blanc annonce qu’il souhaite engager yanéka pour jouer en live à leur défilé automne-hiver 2014 à la Fashion Week, au côté du musicien Ei Wada, qui a déjà assuré la musique de leurs défilés à plusieurs reprises. Il s’inquiète également d’enfin réussir, ou pas, à les contacter pour cet évènement qui aura lieu à peine plus de 3 semaines plus tard.
Passés les premiers doutes sur la véracité de ce mail pour le moins inattendu, il suffira d’un coup de fil à Furuta san pour avoir la confirmation de cette requête et en apprendre un peu plus sur le pourquoi du comment, et leurs péripéties pour contacter yanéka.
C’est lorsque « Miyamae san », le styliste des collections femmes chez Issey Miyake, cherchait l’inspiration pour la musique de leur prochain défilé, qu’il tomba aux hasards de la toile sur une vidéo de yanéka « All in the Air » et se dit instantanément « This is it! », c’est la voix qu’il me faut!
Dès lors ce fut le début des recherches de la team Issey pour retrouver Chiyako et sa voix si spéciale. Après un premier contact avec le label produisant l’album « All in the Air » de yanéka, resté sans réponse (note aux lecteurs, entrer chez une major en tant que musicien n’est pas forcément la meilleure des solutions, loin de là), les chances de retrouver le duo de la vidéo youtube paraissant faibles, des auditions furent organisées à Paris, Londres et en Ecosse, afin de trouver une chanteuse pour le défilé, mais sans résultat concluant. Les recherches furent donc relancées du côté de yanéka, et finalement en dernier recours le fameux mail via facebook fût envoyé.
Aussitôt, la machine fût lancée.
Rendez-vous chez Issey Miyake à Osaka, puis à Tokyo, essayages, répétitions, discussions, demandes de visa de travail puis recherches de billets d’avions, je décidais bien évidemment de les accompagner en France et m’engageais dans le compte à rebours d’à peine deux semaines avant le départ, finissant les derniers travaux en cours, organisant mes rendez-vous en France, et nos diverses visites professionnelles et personnelles.
A quelques heures de l’embarquement les valises enfin bouclées, direction l’aéroport,vers de bien belles aventures.
Après quelques jours seulement, il était temps de quitter la Normandie familiale pour la folie parisienne. Au programme, plusieurs jours de répétitions intenses pour mettre au point le trio monté pour l’occasion : Chiyako au chant, Ei Wada à la guitare et Yuichiro à la manipulation sonore.
Après mes propres rendez-vous, je rejoignais la team yanéka et passais une partie de mes soirées dans les bureaux parisiens d’Issey Miyake où avait lieu toute la préparation du défilé.
Je me souviens comme hier de cette sensation de timidité extrême en me rapprochant du bureau place des Vosges, puis en me retrouvant à l’intérieur au milieu des stylistes, mannequins, assistants et tous les autres membres de cette fourmilière en action. Il faut savoir que j’ai étudié de longues heures le travail d’Issey Miyake lorsque j’étais encore au lycée en Arts Appliqués, et que j’ai toujours eu une admiration spéciale pour ses plis si parfaitement formés mais à la fois tellement organiques.
Bref, pour faire court, je ne savais plus où me mettre mais j’avais des étoiles pleins les yeux.
Malgré ma timidité je fût vite mise à l’aise par la gentillesse et la simplicité de tous les membres du staff, notamment Furuta san, qui supervisait les répétitions au sous-sol, et Miyamae san, qui malgré son planning surchargé pris quelques minutes le deuxième jour pour discuter et me montrer les portants chargés de tous les vêtements du défilé, ainsi que ceux plus reculés où étaient accrochés les essais préparatoires, que j’eu le droit d’observer sous toutes les coutures et même d’essayer, un vrai bonheur!
Malgré sa grande gentillesse et son gabarit japonais, c’est quelqu’un qui m’impressionne beaucoup et à côté de qui je me sens toute petite car il possède une grande aura de pureté, de douceur et de talent qui vous enveloppe tout entier.
Enfin le jour « J » arriva.
Dès 6h du matin un chauffeur est venu chercher Yui et Chiyako pour la dernière matinée de préparatifs et répétitions à l’espace éphémère des Tuileries où aura lieu le défilé dès 12h.
Si je n’ai pas pu moi même y assister, je me suis fait conter par la suite toutes les petites anecdotes de l’ambiance backstage, pour le moins en ébullition!
A l’instar des mannequins du défilé, Chiyako s’est faite maquillée et coiffée, et, privilège ultime, s’est fait couper les cheveux par Eugene Souleiman himself, creative director chez Wella, et créateur des coiffures du défilé.
Seulement, se faire coiffer par Eugene Souleiman a son revers de médaille : il semblerait que le voir faire une coupe lui-même est chose très rare, et à peine s’était-il attaqué aux cheveux de Chiyako, que caméras de télévision et interviewers se jetaient sur lui à la suite les uns des autres, et la coupe s’en trouvait retardée d’autant à chaque fois.
Ce qui devait arriver arriva, au moment de LA répétition musique + mannequins Chiyako n’était pas prête et Yui, depuis son poste d’ingénierie du son entendait Roy Genty le directeur artistique du défilé, l’appeler désespérément à travers les hauts parleurs!
Malgré tout la répétition a bien pu avoir lieu et pendant ce temps, à l’extérieur, depuis la file d’attente j’entendais au loin la voix de Chiyako percer…il était…12h moins dix minutes.
A l’extérieur des défilés c’est un joyeux manège qui s’engage, les modeux sur leur 31 guettent ou se font guetter (au choix) par les photographes de streetsyle à l’affût du moindre look sortant un peu de l’ordinaire.
Si pour ma part je m’étais habillée en kimono, vous qui suivez mes péripéties savez bien que c’est loin d’être une première, et pour moi c’était une occasion comme une autre de le porter, mais je dois dire que ça a eu son petit effet : alors que j’attendais patiemment dans la file entre deux amis, une photographe anglophone me repère et me demande gentiment si je pourrais sortir légèrement de la file pour qu’elle me prenne en photo.J’accepte un peu réticente sentant le coup venir, et ça n’a pas loupé, un photographe en attirant un autre je me retrouvais bientôt sous les flashs d’une quinzaine de personnes, me demandant quand j’allais bien pouvoir m’échapper du flot et retourner dans ma file!
Ce fût à la fois mon moment de gloire et d’embarras de la journée!
Enfin nous avons pu rentrer sous la grande tente éphémère des Tuileries, et une fois trouvées nos places nous nous sommes amusés à observer le ballet des spectateurs et des photographes se battant chacun pour leur emplacement comme si leur vie était en jeux.
Finalement, vers 12h30, une fois tous les spectateurs installés, des techniciens en chaussons décollèrent le film de protection du catwalk, puis les lumières s’éteignirent.
Le show « Rhythmatic Forest » était prêt à commencer.
Mon coeur battait la chamade et j’avais bien du mal à me concentrer sur le défilé en lui-même malgré la beauté des modèles que j’avais sous les yeux. Mais des les premières envolées de voix de Chiyako c’est l’émotion qui m’a vite submergée…je me souvins de notre première rencontre et de tous les moments partagés il y a 5 ans de ça quand nous vivions tous à Paris, les instants beaux et les instants joyeux comme les plus difficiles et je réalisais le long chemin parcouru depuis. Tant pis, je plongeais dans toutes ces émotions et vivait ce moment presque surréaliste à fleur de peau, connectée à distance avec Yui et Chiyako, j’aurais bien le temps de profiter des vêtements dans tous les détails avec les vidéos du défilé.
Petit à petit la musique se construisait et plus l’on avançait vers le final plus la tension et le volume sonore augmentaient, au point de ressentir ces vibrations organiques à travers tous le corps dans une apothéose visuelle et sonore au summum de l’émotion.
Ce moment de beauté et de grâce passa à la vitesse de l’éclair et après une longue salve d’applaudissements et de bravos plus que mérités, je réalisais à peine que le show était fini, que déjà toutes les petites fourmis formant le public couraient vers une autre destination, un autre défilé, comme une page déjà tournée, alors que je restais assise et paralysée, hébétée comme après un rêve, un rêve organique aux créatures de roches et de bois.
En coulisses l’émotion était également à son maximum, tout le staff et même certaines mannequins étaient en pleurs, comme si quelque chose de vraiment spécial venait de se passer, une connexion magique entre musique et vêtements, rendue possible par le travail, la passion et le talent de centaines de personnes sur le devant comme à l’arrière de la scène.
Le soir même à la soirée de visionnage du défilé organisée aux bureaux d’Issey Miyake, cette même émotion était toujours présente alors que tous les acteurs directs du défilé restés backstages découvraient enfin le résultat de leurs efforts.
Peu après, la directrice d’Issey Miyake Europe nous apprit qu’elle avait eu Issey Miyake lui-même au téléphone et nous avons tous eu la surprise de découvrir qu’il avait fait envoyer des bouquets de fleurs à l’attention de Miyamae san et des musiciens, en déclarant que c’était un des meilleurs défilés de l’histoire d’Issey Miyake.
Oui, c’était un défilé vraiment spécial, au delà de la mode et des tendances, c’était tout simplement un moment humain de pure beauté.
Merci Clara pour avoir partagė cette si belle expérience. C’est comme si nous y étions !
JP
Salut Clara,
J’ai visionné la vidéo du défilé et la voix de chiyako, magnifique, un vrai plaisir. Tu as parfaitement bien résumé cette aventure, arigatougozaimas.
Celà a du être un réel bonheur pour vous tous.
Félicitation à tous.
Plein de gros bisous.
Valérie
Que d’émotion et que de talents !
Et en plus j’ai toujours plaisir à te lire. Bisous- Nicole